Mieux comprendre l’e-santé en France

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Mieux comprendre l’e-santé en France

Introduction

D’aucuns pourraient dire que l’e-santé est encore en développement ou n’en est encore qu’à ses balbutiements ; et pourtant ! Car l’e-santé, en 2020, a déjà près de 50 ans. Aidée par les technologies de l’information et de la communication (TIC), l’informatisation des fonctions de la gestion hospitalière et les premiers projets de dossier patient numérisé ont alors vu le jour dans les années 70. Les logiciels de gestion de cabinet médical, eux, sont arrivés dans la décennie suivante. L’automatisation et le Dossier Médical Partagé (DMP) ne sont donc pas aussi nouveaux que ça. On retrouve également trace d’un système d’ordonnances électroniques, d’un portail d’information sur la santé en ligne et d’un dossier patient numérisé au début des années 2000 dans certains pays nordiques.

Malgré l’intérêt évident de l’e-santé, force est de constater que celle-ci a été boudée et mise partiellement en échec pendant longtemps. En cause : probablement le manque de formation et d’appropriation des outils numériques par les acteurs concernés.

Mais l’e-santé c’est quoi au juste ?

Le premier usage de ce terme remonte vraisemblablement à 1999 lors d’une présentation au 7ème congrès international de la télémédecine et elle est définie par l’OMS comme

les services du numérique au service du bien-être de la personne”

Gunther Eysenbach, chercheur allemand en politiques de santé, cybersanté et de l’informatique de la santé des consommateurs, en donne une définition plus précise en 2001 dans le Journal of Medical Internet Researchcomme

“un ensemble d’outils communicants qui renforcent la possibilité pour le patient d’accéder à des soins de qualité et d’être un acteur éclairé de la gestion de sa santé

L’Institut de Recherche et Documentation en Économie de la Santé (IRDES) précise les contours de l’e-santé au niveau international à travers deux domaines majeurs. Le premier, celui des systèmes d’information de santé (SIS) ou hospitaliers (SIH). Le deuxième, celui de la télésanté qui regroupe la télémédecine et la m-santé (pour mobile santé).

En France, sa première inscription sur le plan législatif remonte à 2004 et évoque la télémédecine comme un acte à distance. Puis en 2009 dans la Loi Hôpital Patients Santé Territoire (HPST) en tant que télémédecine comme pratique médicale à distance faisant intervenir au moins un médecin. Enfin, sa mise en œuvre est précisée par décret en 2010. Cinq types d’actes sont concernés :

  • la téléconsultation,
  • la téléexpertise,
  • la télésurveillance médicale,
  • la téléassistance médicale,
  • et enfin la réponse médicale apportée dans le cadre de la régulation médicale des urgences ou de la permanence des soins.

Plus récemment et parmi les 33 mesures annoncées dans le Ségur de la santé figurent notamment la télémédecine dont le maintien du remboursement à 100 % des téléconsultations lancé pendant la Covid et la future plateforme d’accès aux soins (SAS). Ces SAS ouvriront dans chaque département à partir de fin 2020. Enfin, une enveloppe de 1,4 milliard d’euros sera consacrée à combler, sur 3 ans, le retard sur le numérique en santé.

E-santé : quelles technologies ?

Quant aux TIC, elles sont aujourd’hui plurielles et leurs applications sont vastes. La réalité virtuelle (RV) déjà utilisée en santé mentale dans le traitement de certaines psychopathologies est également utilisée en service de médecine pour diminuer l’anxiété chez les patients opérés, réduire le recours médicamenteux et faciliter le parcours patient ainsi que le suivi et l’accompagnement grâce, entre autres, aux chatbots ou agents conversationnels.

En médiation thérapeutique et en assistance aux soins, des robots sociaux sont utilisés notamment dans l’autisme ou encore dans les EHPAD pour limiter la perte d’autonomie et l’isolement de nos aînés. 

Les drones facilitent la livraison d’échantillons médicaux que ce soit en ville ou en milieu rural. 

L’impression 3D, pour sa part, permet de développer des substituts osseux ou encore des prothèses parfaitement adaptées à la morphologie du patient pour un coût de production modeste. En bio-impression, l’impression 3D est utilisée pour constituer des tissus cutanés, cartilagineux ou hépatiques. L’avenir verra probablement la production d’organes entiers et résoudra également le problème des greffons disponibles. À ce jour, une startup française arrive bientôt (actualité août 2020) au stade de commercialisation d’une imprimante 3D qui permettra de générer des séquences d’ADN personnalisées en “seulement quelques heures”. 

Le Big data, lui, est d’une aide précieuse pour collecter, trier et analyser d’immenses volumes de données en temps réel pour accélérer la recherche ou permettre, combiné avec l’IoT (Internet des Objets), un suivi à distance quotidien personnalisé des patients. Le nombre d’objets connectés est d’ailleurs directement dépendant de la 5G dont les possibilités techniques permettront également une télémédecine plus sûre. Preuve en est avec la cobotique chirurgicale dont la téléchirurgie qui nécessite un débit de données plus rapide et un temps de latence réduit.

L’IA, et ses deux sous-ensembles plus ou moins populaires que sont l’apprentissage automatique (machine learning) et l’apprentissage profond (deep learning), quant à elle, est déjà par exemple utilisée en tant que solution prédictive pour gérer l’afflux des patients (jusqu’à une semaine d’avance !) ou encore en radiologie et en imagerie médicale dans le dépistage du cancer avec un diagnostic beaucoup plus précoce ou encore pour prédire les chutes de nos aînés. 

L’holographie médicale nous rapproche de Star Wars et elle est déjà utilisée dans la formation des médecins ainsi que lors des divers examens tels que l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ou la tomographie par émission de positrons (TEP).

Le cloud permet, quant à lui, de s’appuyer sur un environnement numérique plus sécurisé et qui facilite la collaboration des professionnels de santé qui travaillent sur des sites différents tout en apportant une adaptabilité illimitée des besoins en temps réel.

Enfin, la blockchain, technologie de stockage et de transmission d’informations, davantage connue dans le monde des cryptomonnaies, permet, quant à elle, de certifier l’authenticité des documents et de sécuriser l’accès aux données médicales et apporte également une valeur ajoutée en R&D médicale.

Sans oublier l’informatique quantique qui n’en est encore, elle, qu’à ses balbutiements mais qui laisse présager dans l’avenir une révolution technologique. Toutes ces technologies ont aussi une empreinte carbone et l’e-santé doit s’inscrire dans une stratégie et une politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE) et dans une responsabilité numérique des entreprises (RNE).

Hébergement et traitement des données sensibles (médicales)

Par ailleurs, toutes ces technologies ainsi que le stockage, le traitement et l’accès aux données médicales sont une réelle préoccupation. En effet, les données de santé sont régies par le Code de la santé publique et doivent être stockées par un hébergeur certifié par le Ministère de la Santé « Hébergeur de Donnée de Santé » (HDS). Celui-ci garantit une sécurité optimale avec un chiffrement et une traçabilité des données, couplés à un système d’authentification suffisamment fiable. Par ailleurs, la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a créé la plateforme des données de santé ou Health Data Hub. Cet outil, à la disposition des chercheurs, doit permettre de favoriser la recherche notamment par le recours à des techniques d’intelligence artificielle. Dans le cadre du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), le Conseil d’État, par une ordonnance rendue en juin 2020, a enjoint à la plateforme de transmettre à la CNIL tous les éléments nécessaires pour vérifier si ces techniques assurent une protection suffisante des données en question.

E-santé et cybersécurité

Toutefois, la cybersécurité n’est et ne sera véritablement efficace que si elle peut s’appuyer sur une politique et une stratégie de prévention, de formation et d’action mises en place par les différents échelons institutionnels publics ainsi que par les acteurs privés.

Ce n’est pas moins de 2 296 signalements en 2019 qui ont été déclarés, tous secteurs confondus auprès de l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI). Selon l’un des leaders européens de la cybersécurité, Stormshield, les actes malveillants au niveau mondial visant les hôpitaux auraient augmenté de 475 % entre février et mars 2020 soit cinq fois plus qu’en temps normal. Le secteur de la santé est en effet une cible privilégiée pour les cybercriminels et ce, à travers trois types de menaces : le vol de données, le cyberespionnage et les menaces perturbatrices et destructives dont notamment les rançongiciels. En 2019, 392 incidents (dont 85 % venant d’établissements de santé) ont été signalés en France au Ministère des solidarités et de la Santé et 70 demandes d’accompagnement ont été formulées auprès de la cellule en cybersécurité en santé. Il est également utile de préciser que les méthodes d’attaque des cybercriminels évoluent de manière à viser, à travers l’ingénierie sociale, les comportements des patients plutôt que les infrastructures institutionnelles.

À titre d’information, a été mis en place un dispositif de prévention et d’alertes ministériel à travers le Portail d’Accompagnement Cybersécurité des Structures de Santé, cyberveille, conçu pour informer sur les menaces numériques qui pèsent sur le secteur, donner aux acteurs les clés pour y faire face, et partager les pratiques au sein d’un espace sécurisé.

Les enjeux liés à l’e-santé sont nombreux. Et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), les équivalents chinois des GAFAM et ces derniers y occupent une très grande place sur le plan économique, politique et stratégique. Le cabinet de conseil Frost & Sullivan parle d’un marché mondial de l’e-santé qui s’élève à 234,5 Mds de dollars (2,7 Mds d’euros rien qu’en France selon un rapport du Ministère de la cohésion des territoires et celui de l’économie et des finances). En ce qui concerne le volume de données médicales, toujours au niveau mondial, le cabinet Frost & Sullivan l’estime à plusieurs dizaines de zettabits (1 Zb équivaut à 1 000 milliards de gigabits). Le Digital Economy Compass 2019 estime, lui, qu’on pourrait franchir en 2035 la barre vertigineuse des 2 000 Zb tous secteurs confondus. La souveraineté numérique (plus ou moins mise en exergue depuis les affaires Wikileaks et Snowden), l’hébergement et la sécurité des données médicales sont des enjeux majeurs au niveau politique, économique et sociétal.

Hors santé, c’est le Cloud de la firme californienne Google qu’a choisi Renault pour collecter et stocker ses données industrielles à partir de ses usines, de ses robots et de sa chaîne logistique. Autre cas : l’organisation des JO de Paris 2024 a choisi le cloud chinois d’Alibaba pour héberger son site web et les différentes solutions associées alors même que la souveraineté numérique est l’un des 5 objectifs stratégiques de l’ANSSI dans sa stratégie nationale pour la sécurité numérique édictée en 2015. Qu’en sera-t-il pour nos solutions de santé ?

Santé et fracture numérique en France

Un autre problème persiste, plus humain celui-là ; celui de la fracture numérique en France.

En effet, ces nouvelles technologies requièrent une culture et des compétences numériques autant pour les professionnels de santé que pour les usagers. Or selon l’INSEE, 17 % de la population française (semblable à la moyenne européenne) est touchée par l’illectronisme (ne pas avoir accès à internet ou ne pas savoir utiliser les outils numériques) touchant principalement les ménages aux revenus modestes, les personnes les plus âgées et les personnes les moins diplômées. Par ailleurs, 38 % des usagers apparaissent manquer d’une compétence numérique soit en recherche d’informations, soit en communication, en utilisation de logiciels et en résolution de problèmes. Que penser du DMP instauré par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, laquelle a également instauré le parcours de soins ? Seuls 12 % de la population utilise le DMP. Ce dernier n’est alimenté que par 9,7 % des usagers, 20 % des médecins et 34 % des établissements de santé (dont la moitié sont des EHPAD). Les laboratoires de biologie et les cabinets de radiologie commencent à peine à être accompagnés. Un énième rapport parlementaire, celui de Cyrille Isaac-Cybille de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, remis le 21 juillet 2020, vise à rendre le DMP compatible avec les objectifs du Health Data Hub (HDH)… Sachant que, techniquement, les DMP reçoivent surtout des données dites statiques, souvent en PDF qui ne sont pas vraiment exploitables par les algorithmes IA utilisés dans le HDH. Le chemin jusqu’à la généralisation de ce carnet de santé numérique et la sécurité de ses données sont encore longs.

Travailler dans l’e-santé ? Zoom sur l’emploi du secteur

Côté emploi, l’e-santé est inévitablement un marché qui recrute. En juillet 2018, la plateforme d’emploi Joblift a analysé pas moins de 9 948 offres d’emploi dans le seul domaine de l’e-santé. Arrivaient en première position les développeurs suivis des médecins et des commerciaux. À l’automne 2019, Syntec numérique (l’organisation professionnelle des Entreprises de Services du Numérique (ESN), des éditeurs de logiciels et des sociétés de conseil en technologies (ICT)), indique, tous secteurs confondus, plus de 150 000 emplois créés dans le numérique en 10 ans et plus de 510 000 salariés en 2018 dont plus de 90 % en CDI. Toujours selon Syntec Numérique et au printemps 2020, 46 % des personnes interrogées dans le sondage “Numérique et post Covid-19” sont prêtes à se reconvertir dans le numérique dont 22 % si leur emploi actuel devenait obsolète. En Europe et selon le High Tech Skills Industry mentionné en juin 2020 par la Commission européenne, ce n’est pas moins de 749 000 postes vacants dans le domaine de l’informatique.

Si l’IA peut susciter des inquiétudes quant à l’automatisation partielle ou totale de certains métiers (le cabinet de conseil McKinsey estime que 60 % des emplois actuels comprennent 30 % d’activités automatisables à une échéance de 20 à 40 ans), il est en même temps plus que raisonnable de penser que l’intelligence artificielle est et sera en même temps créatrice d’emplois (techniciens, consultants, enseignants et formateurs, chefs de projet, développeurs, Data scientists et Data analysts, juristes, chercheurs, ingénieurs, R&D etc.). Selon une étude de l’APEC, le nombre d’offres d’emplois exclusivement liées à l’intelligence artificielle a bondi de 113 % entre 2016 et 2017 sans parler des nombreux autres spécialistes des autres technologies numériques : data, IoT, réalité virtuelle et augmentée, drones, blockchain, 5G, cloud ou impression 3D.

Le gouvernement a lancé quatre instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle (3IA) labélisés pour une période initiale de 4 ans et financés à hauteur de 75 millions d’Euros, à Grenoble, Nice, Paris et Toulouse. On peut penser que cette initiative, parmi d’autres, permettra de préserver la souveraineté numérique notamment par rapport à la Chine qui est un leader mondial dans ce domaine. Outre les nombreuses formations informatiques telles que des licences mention IA et Masters spécialisés en IA, deux Diplômes d’Université (D.U) en IA appliquée à la santé ont été créés en 2019 et 2020, ouverts à des profils non informaticiens.

Enfin, et comme précisé plus haut, la cybersécurité est centrale pour garantir la sécurité de nos données médicales. L’un des spécialistes mondiaux de la cybersécurité, Kaspersky Lab, membre du dispositif étatique français d’assistance et de prévention de la sécurité numérique, parle de 1,8 million d’emplois non pourvus dans le domaine de la sécurité numérique au niveau mondial, tous secteurs confondus. En France, Le secteur de la cybersécurité est en pénurie. ; Pôle Emploi parle de seulement 25 % d’emplois pourvus dans ce secteur. Ce sont plusieurs dizaines de milliers de spécialistes qui sont recherchés (consultant, juriste, analyste SOC, pentester, chef de projet sécurité, architecte sécurité ou encore administrateur sécurité etc.) tous secteurs confondus.

L’humain de demain sera-t-il hybride ?

L’hôpital et le domicile connectés ne sont pas l’avenir. Ils sont déjà le présent. Toutefois ils méritent d’être généralisés, encadrés et sécurisés. La transformation numérique et digitale de la santé est un enjeu majeur pour tout le monde, professionnels en institution et en libéral et usagers de la santé. Tout le monde est concerné par la médecine connectée : médecins, professionnels en soins infirmiers, cadres de santé, psychologues, ergothérapeutes, ostéopathes, kinésithérapeutes, psychomotriciens, biologistes, radiologues, pharmaciens etc. Néanmoins, garantir la santé de chaque citoyen passe par une formation et un accompagnement adapté à chacun afin de s’approprier au moins les technologies et outils numériques. Il s’agit de comprendre pour mieux utiliser.

Panser l’Homme de demain ne doit pas se faire sans le penser. La médecine 2.0 et la médecine préventive (voire même prédictive) viennent également questionner notre rapport au corps, au psychisme, à la technologie, à la santé et aux soins portés aux autres et à soi-même au point de transformer le monde et notre rapport à ce dernier. La situation sanitaire 2020-2021 va probablement venir opérer une mutation du travail et de son organisation. Le télétravail devrait prendre une place plus importante et aboutir à une hybridation au moins plus importante des modes de travail.

L’hybridation en tant que processus de transformation et assemblage d’éléments hétéroclites, n’est pas nouvelle. Elle a fasciné l’humanité depuis la nuit des temps comme le montre la mythologie ; le Minotaure en est une figure archétypale et vient signer le renoncement à l’unité de genre. Il est mi-homme, mi-taureau ; à la fois un peu des deux tout en étant ni tout-à-fait l’un ni tout-à-fait l’autre. Il est d’ailleurs l’incarnation du transgressif, de l’anormal, étant le fruit des amours coupables de Pasiphaé et d’un taureau blanc. Plus proche de notre époque et dans le domaine de la littérature, l’écrivain et dramaturge allemand du 18ème siècle, Gotthold Ephraim Lessing, envisage lui aussi l’hybridation entre le roman et le théâtre, entre la comédie et la tragédie, et donne un sens nouveau au terme hybride dans son livre Laocoon publié en 1766 : “Que m’importe qu’une pièce d’Euripide soit ni tout récit ni tout drame ? Nommez-la un être hybride, il suffit que cet hybride me plaise, et m’instruise plus que les productions régulières de vos auteurs corrects tel que Racine et autres…“. Bannir les genres et créer de nouvelles formes étaient déjà un sujet de réflexion.

L’hôpital connecté c’est aussi le patient connecté. Connecté à quoi, à qui ? On transforme la santé. On transforme l’hôpital en tant qu’institution. On transforme le soin. On transforme le patient. On transforme l’Homme. À quoi l’Homme de demain va-t-il ressembler ? Ne sera-t-il que purement organique ou sera-t-il hybride ? Aujourd’hui, nous sommes déjà capables d’imprimer des séquences d’ADN ; et demain ? Au-delà de l’e-santé, certains mouvements tels que le transhumanisme et le posthumanisme interrogent. L’Association Française Transhumaniste (AFT) Technoprog parle d’Homme augmenté et précise :

“Être humain demain” Nous prônons l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales humaines

Mais de quelles augmentations et améliorations parlons-nous ? S’agit-il des capacités humaines ? De la nature humaine ? L’amélioration de l’Homme est une question aussi vieille que les mythes. Chercher à être meilleur était déjà élevé comme valeur morale par certains philosophes de la Grèce antique. Toutefois, pour ces derniers, l’amélioration de l’Homme passait par une conscience et une connaissance de soi. Les améliorations contemporaines et futures le permettront-elles ? Le sport n’est-il pas une façon de se dépasser, se surpasser en améliorant ses capacités physiques et mentales ? Le maquillage et les filtres de certains réseaux sociaux, une manière d’améliorer son apparence ? L’amélioration de l’individu ne permet-elle pas une amélioration de la société ?

À défaut d’être mi-homme, mi-animal, serons-nous un jour mi-homme, mi-machine ? Certaines avancées, qu’elles relèvent de l’e-santé et/ou de certains mouvements interrogent et viennent nous convoquer sur un plan éthique, philosophique, anthropologique, psychologique et sociologique. Y a-t-il à l’horizon un labyrinthe de Dédale dans lequel nous risquons de nous perdre ? Ou au contraire, ces possibilités qui s’ouvrent à nous signent-elles une prochaine étape de notre évolution ?

D’ici là, arrêtons-nous un instant et réfléchissons. La seule certitude que nous avons aujourd’hui est que considérer la technologie sous le seul primat de cette dernière ne fait que l’enfermer voire nous enfermer en son sein. Penser la technologie ne peut et ne doit pas se faire sans tout l’apport que peuvent nous apporter les sciences humaines. Elles sont fondamentales et fondamentalement humaines.

Conclusion

Bien soigner, c’est d’abord bien comprendre de quoi on parle. Ces technologies viennent inévitablement et déjà modifier notre rapport au monde et à nous-mêmes. La technologie va-t-elle venir faire rupture ou continuité dans notre civilisation ? De quelle façon la technologie va-t-elle modifier le couple signifiant-signifié de la maladie et des pathologies ? Soigner, c’est parle de santé, de soins ; de société aussi car la santé et sa gestion sont des produits culturels. Que diront les archéoanthropologues et les archéothanatonautes de demain quand ils étudieront nos corps ? Quelles seront leurs analyses et leurs réflexions sur notre société et notre époque contemporaines ?

Le monde numérique foisonne d’un jargon abscons et de technologies en perdront plus d’un. Ceux-là, parmi nous, risquent de ne plus trouver le chemin de la sortie. Ces technologies doivent au moins être expliquées et pour certaines, démystifiées, si on ne veut pas perdre le fil ; de soi comme de l’avenir de l’Homme.

En conclusion, panser l’Homme de demain, ce n’est pas seulement le soigner autrement et peut-être mieux, c’est d’abord penser la santé 2.0 en tant que transformation inclusive. C’est accompagner chaque individu, chaque Homme avant d’accompagner chaque patient, sans oublier personne, dans cette transformation civilisationnelle afin qu’il ne soit pas noyé dans la technologie, au risque de s’y perdre, mais qu’il reste véritablement un acteur éclairé de sa santé et aussi un tisseur de sa vie. C’est cet accompagnement qui sera, nous pouvons l’espérer, notre fil d’Ariane pour que chaque personne puisse devenir son propre Thésée.

Jean-Noël Lorriaux

Chef de projet digital, fondateur de Khelasys et formateur en compétences numériques

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