La souveraineté numérique en France

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La souveraineté numérique en France

Introduction

Pourquoi parler de souveraineté numérique est-il si important aujourd’hui en 2020 ? Car il semblerait que nous ayons perdu cette bataille. Ou, en tout cas, que la France est visiblement en difficulté sur ce point. Ce qui est un problème central dans le domaine de la santé comme je l’évoque dans cet autre article sur le panorama de l’e-santé en France.

Depuis un certain temps déjà, on peut s’interroger sur le stockage de nos données de santé. C’est pourquoi des services sont labélisés « hébergeurs de données de santé (HDS) » par des organismes de certifications agréés par les autorités. Mais jusqu’où vont les exigences de ces labels ? Quant à cette année 2020, elle a vu les JO de Paris 2024 s’associer à la Chine pour son Club Paris 2024 : une plateforme interactive et passerelle numérique, développée et hébergée sur le Cloud chinois Ali baba, dont le but est de créer une communauté autour des Jeux Olympiques. Son objectif est d’inciter le grand-public à interagir et de s’engager davantage en proposant des activités communautaires et des challenges. Toujours en 2020, Renault, quant à lui, a confié la gestion de sa chaîne logistique au Cloud américain de Google. En plein Covid et dans l’urgence, la plateforme française historique d’enseignement à distance, le CNED, choisit la solution américaine Blackboard Collaborate (qui n’a pas de lien avec la série éponyme elle aussi Black Mirror) pour ses classes virtuelles. Fin 2019 c’est le Health Data Hub, une plateforme française géante de données de santé(budget de 80 millions d’euros pour quatre ans) créée par arrêté en novembre 2019 qui a vu son administration confiée à la société américaine Microsoft qui répondait aux exigences de sécurité et fonctionnelles.

Mais au fait, c’est quoi la souveraineté numérique ?

La souveraineté numérique désigne l’application des principes de souveraineté nationale au domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC), c’est-à-dire à l’informatique et aux télécommunications. De façon plus précise, la souveraineté numérique est synonyme de propriété nationale ; c’est utiliser, dans le domaine des TIC, des équipements, des solutions et des applications créés et développés en France par la France. Cette souveraineté numérique présente deux avantages majeurs :

– maîtriser toute la chaîne de valeurs de ces équipements, solutions et applications, d’en tenir et d’en connaître tous les tenants et les aboutissants

– de fait, c’est surtout être autonome d’un point de vue technologique, économique et géopolitique.

La souveraineté numérique permet donc d’être indépendant et si le terme de « souveraineté numérique » est relativement récent, la question d’une indépendance numérique l’est beaucoup moins et plusieurs personnes sont à l’origine de ce terme.

La souveraineté numérique est employée pour la première fois en 2006 dans un article de Laurent Sorbier et Bernard Benhamou, expert français de l’Internet et spécialiste de la société de l’information, publié dans Politique étrangère. Pierre Bellanger, PDG de Skyrock et l’un des pionniers en TIC en France en donnera une définition un peu plus précise en 2011, année de création du Conseil National du Numérique (CNNum) : « la souveraineté numérique est la maîtrise de notre présent et de notre destin tels qu’ils se manifestent et s’orientent par l’usage des technologies et des réseaux informatiques ». Le terme est repris en 2012 par Françoise Benhamou, membre du Collège de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP).

Un peu d’histoire

Mais alors à quand remonte la question de l’indépendance numérique en France ? Eh bien environ à 50 ans ; une dizaine d’années avant la première loi nᵒ 78–17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, plus connue sous le nom de loi informatique et libertés promulguée en 1978.

C’est lors du début de la Guerre froide que les États-Unis et l’URSS se livrent une guerre féroce dans le domaine du développement technologique et des communications.

Les années 50 virent apparaître toute une génération de supercalculateurs soviétiques dont notamment la création du BESM-1 en 1952 dirigée par l’ingénieur Sergueï Lebedev, père de l’informatique soviétique. Au moment de sa mise en service, ce modèle était encore le calculateur électrique le plus rapide d’Europe. Les générations suivantes du BESM continuèrent jusque dans les années 80 même si son modèle successeur, Elbus, fut créé en 1973.

Au début des années 60, en pleine guerre froide et en décennie révolutionnaire (révolutions agricoles, modernisation de l’Église catholique, révolte étudiante débouchant sur Mai 68, Révolution culturelle chinoise, Printemps de Prague, Festival de Woodstock et les suivants, premiers pas de l’Homme sur la Lune en 1969, traités internationaux de dénucléarisation, etc.), les États-Unis travaillent de leur côté et en secret sur un nouveau projet technologique.

L’agence de recherche technologique (DARPA) du Département américain de la Justice se voit alors confier au début des années 60 par l’US Air Force la conception d’un programme informatique dirigé par Joseph Carl Robnett Licklider, spécialiste des TIC, pour le Q-32 un superordinateur conçu par IBM et destiné au commandement des bombardements stratégiques. C’est quelques années plus tard, en 1966, que le projet secret et organisé par le Pentagone, ARPANET (l’ancêtre de l’Internet) est lancé. Ce projet écrit par le monde universitaire consiste en la création d’un réseau informatique délocalisé, reliant les universités en contrat avec la DARPA. Réseau qui doit permettre de s’échanger des informations entre militaires même si des ogives atomiques ennemies réussissaient à détruire l’ensemble des réseaux de communication. ARPANET sera opérationnel en 1969 et livré à l’armée américaine en 1975. La date officielle de naissance d’Internet souvent retenue est le 1er janvier 1983, jour où l’ARPANET de 1969 est passé du protocole de communication NCP au TCP/IP découvert en 1972 par Vinton Cerf et Robert E et qui permet aux ordinateurs de se comprendre lorsqu’ils échangent des informations. Ce protocole est encore aujourd’hui le plus répandu sur internet. Ce protocole a précédé l’apparition du Web en 1991 grâce au protocole HTTP, le premier navigateur, Mosaic, en 1992 avec 200 sites internet seulement en 1993 (en juin 2020 ont été comptabilisés 1 778 391 561 sites web dans le monde).

Les années 1970 sont aussi un âge d’or de la naissance des grands noms de l’informatique américaine aujourd’hui mondialement connus : Microsoft en 1975, Apple en 1976, Oracle en 1977. Puis les années 1990 avec Amazon en 1994, eBay en 1995, Netflix en 1997 ainsi que Paypal et Google en 1998 et enfin Facebook en 2004.

À titre de comparaison, les BATX (équivalent chinois des GAFAM) : Baidu en 2000, Ali baba en 1999, Tencent en 1998 et le petit dernier, Xiaomi en 2010.

1966 est donc une année particulière. ARPANET est lancé aux USA. La C.E.E signe les accords de Luxembourg. Les Etats-Unis déclenchent les premiers bombardements aériens au Vietnam du nord. La lune voit arriver sur son sol la première sonde soviétique, Luna 9, en janvier suivie de la première sonde américaine Surveyor 1 en mai. Les Beatles font leur dernier concert à San Francisco et Walt Disney meurt.

Le plan Calcul en France

Toujours en 1966, sur le plan technologique et en France, la société Bull, qui est alors le seul constructeur français d’ordinateurs, s’effondre en bourse face à la domination d’IBM et est rachetée par la firme américaine General Electric. Sur les recommandations du Ministre des finances Michel Debré et d’un groupe de hauts fonctionnaires et d’industriels, le Président Charles de Gaulle, alors premier président de la 5ème République et son premier Ministre Georges Pompidou approuvent en juillet 1966 le Plan Calcul dont l’objectif est de développer une industrie informatique nationale et d’en faire un élément d’une future industrie informatique européenne. Ce plan gouvernemental vise à accélérer l’industrie française des circuits intégrés et à développer un volet de formation massive en informatique à la fois dans l’Éducation nationale et dans divers organismes publics ou privés, par la création d’un ensemble de diplômes, la reconnaissance de l’informatique comme discipline scientifique et l’opération des « 58 lycées » à partir de 1972.

Comme le précise la circulaire ministérielle de l’époque : « L’informatique est un phénomène qui est en train de bouleverser profondément les pays industrialisés et le monde moderne en général. La mise en place de banques de données, la création de réseaux de communication de l’information, la formulation de nombreux problèmes sans relations apparentes dans un langage unique commun, l’approche synthétique de questions complexes que permet l’informatique, en font un outil scientifique, technique et intellectuel unique. L’enseignement secondaire tout entier et dès la classe de 4e ne peut rester à l’écart de cette révolution. Il doit préparer au monde de demain dans lequel ceux qui ignoreront tout de l’informatique seront infirmes. Il doit apprendre la portée de cet outil, pour éviter les enthousiasmes excessifs et les scepticismes étroits. Il doit profiter de la valeur formatrice de l’enseignement de l’informatique, de la rigueur et de la logique qu’elle impose. II doit faire apparaître la portée économique du phénomène, et faire savoir ce que l’informatique peut apporter dans la vie professionnelle. Enfin, il doit préparer les consciences à affronter les responsabilités nouvelles créées par sa généralisation. »

Le Minitel

Ce qui est moins connu c’est qu’Internet aurait pu être français. En effet, les chercheurs français en TIC sont à l’époque mondialement réputés et échangent régulièrement avec les États-Unis. Les créateurs américains du protocole TCP/IP s’inspireront d’ailleurs des travaux d’un ingénieur français pour la couche de sécurisation du protocole. En 1969, ce même ingénieur, Louis Pouzin met au point un réseau informatique qui fonctionne de la même manière qu’ARPANET qui s’appelle Cyclades et qui est lancé en 1972. Ce projet sera toutefois enterré sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing en 1978 pour laisser la place au Minitel qui verra le jour en 1983 en Bretagne. Au milieu des années 90, on comptait 9 millions de terminaux utilisés par 25 millions de Français et plus de 20 000 services en ligne. La France était alors le pays le plus connecté au monde ! Un grand succès notamment lié à son modèle industriel et économique dont la mise à disposition gratuite de son terminal ainsi que ses nombreux services érotiques en ligne. Force est de constater que la France avait, au cours de la 2ème moitié du XXème siècle, les talents, les moyens et les idées et occupait une position significative sur l’échiquier mondial des TIC.

Mais voilà, le Minitel n’était pas Cyclades. Ce n’était pas le même objectif ni les mêmes ambitions. Est-ce là déjà une première grande erreur française ? Que ce serait-il passé si ce projet n’avait pas été abandonné ? Cyclades aurait-il pu devenir une solution souveraine nationale voire européenne ? Nous ne le saurons jamais.

La souveraineté numérique n’est donc pas un sujet nouveau.

Une question à se poser est de savoir si nous considérons que nous avons déjà perdu la bataille. Ou est-ce qu’il est possible pour la France de retrouver une position majeure à l’international ? Après tout, la tortue n’a-t-elle pas gagné contre le lièvre ? Mais avouons-le, la suite de la bataille ne va pas être simple !

Quelques chiffres de l’internet (mais pas que)

PIB nominal de la France (en 2019) : 2 425 mds $ (selon le FMI), à titre de comparaison, celui des USA est de 21 428 mds $ et celui de la Chine est de 14 343 mds $.

PIB cumulé des GAFAM : +6 500 mds $ (juillet 2020, +50 % en 18 mois). Soit un tiers du PIB national des États-Unis rien que pour les BIG five américains qui est donc associé aux TIC. En 2015 et selon l’Observatoire du Numérique, les TIC représentaient 4,18 % du PIB français (5ème position en Europe).

Les solutions collaboratives pour le télétravail

La Covid-19 a entraîné une forte augmentation de l’utilisation de solutions de visioconférence afin de permettre, aux structures qui le pouvaient, une continuité des activités économiques et indirectement de préserver, dans la mesure du possible, le lien social.

Le terme de « télétravail » a été massivement cité bien qu’il s’agisse davantage de travail à domicile et non de télétravail. Ce dernier étant le résultat d’une vraie stratégie, élaborée, et d’une organisation rigoureuse qui repose également sur un cadre légal précis ; notamment l’article 46, section IV de la LOI n° 2012–387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives du Code du travail français. Ce qui a été mis en place pendant la pandémie, et surtout dans l’urgence n’était pas du télétravail mais davantage du bricolage où chacun a fait ce qu’il a pu. Hormis l’abus de langage, force est de constater que cette organisation spécifique du travail prendra de plus en plus de place dans l’avenir. En France peut-être moins vite que d’autres pays mais cette tendance sera, a priori, rapidement vérifiable.

Différents logiciels ont alors été utilisés, selon les possibilités, tels que Zoom (licorne qui s’était déjà envolée en bourse en avril 2019 grâce à un modèle économique basé sur une formule « freemium » très intéressante), Microsoft Teams, WhereBy ou encore Jitsi Meet. Si d’autres applications ont été moins utilisées ou moins citées, celles-ci existent : join.me, Google Hangout, Cisco Webex et beaucoup d’autres. Sur ces 8 solutions de visioconférence les plus populaires, 6 sont américaines, une est norvégienne (Whereby) et seule Jitsi Meet est française. Celle-ci, développée en Java, est d’ailleurs préconisée et inscrite dans le Socle Interministériel de Logiciels Libres (SILL) encadré par l’article 16 de la Loi n° 2016–1321 du 7 octobre 2016 « pour une République numérique » et réalisé par la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État (DINUM).

Les moteurs de recherche

Dans les années 90, la France a développé quelques moteurs de recherche tels que Lokace (1994–2002) ou encore Ecila (1996–2001) mais aucun des deux n’a trouvé son public. Ces moteurs étant déjà largement concurrencés par les moteurs américains de l’époque : Altavista, Lycos, Webcrawler, Infoseek, Excite etc., qui donnaient des résultats plus pertinents y compris sur le web français. En 2000, le moteur Exalead développé par des ingénieurs français repose aujourd’hui dans un cimetière des éléphants numérique. KE développé par feu France Télécom puis Orange a aussi perduré quelques années avant d’être abandonné en 2017.

À l’automne 2020 où en est-on ? Google remporte plus de 90 % de parts de marché en France suivi des deux autres américains : Bing (+ 4 %) et Yahoo (+ 1 %). Le reste étant réparti sur d’autres moteurs de recherche qui ne dépassent pas le 1 % de parts de marché. La tentative d’un moteur de recherche français mis en ligne en 2013, Qwant n’est utilisé que par 0,80 % des Français. Une autre initiative française et solidaire lancée en 2015, le métamoteur Lilo (qui repose sur Google, Bing et Yahoo) qui reverse 50 % de son CA à des projets sociaux et environnementaux choisis par ses utilisateurs ne dépasse pas 1 % d’utilisation en France. Ecosia, le métamoteur allemand solidaire lancé en 2009 qui reverse 80 % de ses bénéfices pour la reforestation n’est utilisé que par 1,01 % des Français et repose sur Bing. La Russie et la Chine, eux, ont chacun leur moteur souverain comme moteur principalement utilisé devant Google (Yandex en Russie et Baidu en Chine).

Les solutions cloud

Au niveau du marché du Cloud computing (toutes offres confondues), le marché est très largement dominé par les Américains (68 % du marché mondial) avec Amazon et Microsoft et Google dans le top 5 et les Chinois Ali baba (devant Google) et Tencent qui prennent 12 % du marché mondial selon Gartner.

En 2009, la France a élaboré l’idée d’un Cloud souverain baptisé Andromède. Celui-ci a été lancé en 2011 autour d’Orange, Thalès, SFR, ATOS et Dassault Systèmes dans le cadre des investissements d’avenir pour une bagatelle de 150 millions d’euros investis. Cloudwatt et Numergy ont alors vu le jour. Deux projets mort-nés. Aujourd’hui des hébergeurs de domaines français tels que Clever Cloud, Scaleway ou encore Alwaysdata pour n’en citer que quelques-uns ont élargi leur champ de compétences pour proposer des solutions de Cloud sans pour autant pouvoir rivaliser avec les solutions américaines ou chinoises. Un challenger français tire toutefois son épingle du jeu, OVH, l’un des leaders en cloud français et qui a d’ailleurs été homologué pour les données de santé peu après que le partenariat ait été signé entre le Health Data Hub et Microsoft.

Si le data center de Microsoft qui héberge nos données de santé est situé sur le territoire français, cela ne sécurise pas pour autant nos données. En effet, le Cloud Act (loi américaine promulguée en 2018) et son extraterritorialité (l’application de lois votées aux États-Unis à des personnes physiques ou morales de pays tiers et ses impacts sur ces dernières) donne tous les droits aux USA. Pour le dire plus simplement, les USA ont un contrôle total sur leurs serveurs — et les données hébergées — physiquement hébergés dans les Data Center situés à l’étranger ; la loi américaine prévaut sur le sol. Un collectif, inquiet du partenariat avec Microsoft, qui rassemble une vingtaine d’organisations et de personnalités dont le Conseil national du logiciel libre et le Syndicat de la médecine générale a tenté un recours en référé, lequel a été rejeté par le Conseil d’État le 22 septembre 2020.

Si les solutions de cloud américaines sont très présentes en Europe dont la France, c’est sans compter sur les ambitions du chinois Tencent qui a investi en 2020 60 milliards d’euros d’investissement dans le cloud (notamment en Europe), l’IA et la 5G et qui est le 3ème BATX à s’installer en France (filiale créée en septembre 2020 en région parisienne) après Ali baba et Xiaomi.

Plus récemment — et dans l’objectif de concurrencer les géants américains et chinois — l’idée d’un cloud souverain est cependant à nouveau revenue sur le devant de la scène. Toutefois et comme aucune entreprise européenne n’est en mesure de rivaliser seule avec les concurrents déjà en place, le projet de cloud Gaia-X est né d’une coopération européenne et plus précisément franco-allemande. Ce n’est pas moins de 11 entreprises allemandes et 11 entreprises françaises (dont OVH, Scaleway, Dassault Systèmes, Orange, EDF, Docaposte ou l’Institut Mines Telecom) qui vont s’unir pour proposer dès 2021 une offre européenne de cloud respectant un certain nombre de critères de sécurité et de normes européennes. Une nouvelle bataille est donc lancée ! La solution Gaia-X fera-t-elle le poids face aux géants non européens ? On peut aussi garder un œil sur l’évolution de l’association entre Google et OVH annoncée dans la presse en novembre 2020. Le partenariat permettra à OVH de proposer une offre de cloud privé hébergé qui utilisera la technologie Anthos de Google compatible avec l’open source.

Et les monnaies dans tout ça ?

L’argent liquide va-t-il disparaître ? Dans le futur, probablement mais pas encore aujourd’hui. La Suède, quant à elle, est l’un des pays pionniers quant à la création des e-monnaies souveraines. Si depuis cette année 2020, une loi est entrée en vigueur pour obliger à des institutions de crédit de fournir des services en argent liquide pour notamment faire face aux inégalités sociales, le pays du groupe ABBA est rentré dans le paiement tout-numérique en 2012. Les 56 milliards de couronnes qui circulent encore dans le pays ne représentent plus aujourd’hui que 1,2 % du PIB, le plus bas niveau du monde (la moyenne dans l’Eurozone est de 10%), et le cash n’est plus utilisé que dans 6% des transactions. Les paiements liquides dans les commerces ont chuté de 40 % en 2010 à 15 % en 2016. Les magasins peuvent refuser, en tout légalité, les paiements en cash. L’accès aux toilettes publiques se fait par carte, les oboles dans les églises et même les mendiants utilisent depuis longtemps, Swish, un système souverain initié par les 6 plus grandes banques suédoises en 2012 de paiement instantané par téléphone qui lie un numéro au compte bancaire.

Les cryptomonnaies (monnaie émise de pair à pair, sans nécessité de banque centrale, utilisable au moyen d’un réseau informatique décentralisé) qui utilisent la technologie Blockchain sont-elles le futur ? Mais alors à quoi serviront demain les banques centrales dont la mission première est de fournir de l’argent liquide ? Si la monnaie se dématérialise, elle doit offrir une alternative publique.

La première cryptomonnaie et aussi, de fait, la plus populaire, le Bitcoin, remonte à 2008. Mais le Bitcoin n’est pas une monnaie souveraine. Or depuis début 2020, la Riksbank, Banque centrale de Suède teste, en partenariat avec le cabinet international Accenture, la e-couronne, sa cryptomonnaie souveraine émise par la banque centrale de Suède. Toujours depuis 2020, 4 banques centrales souveraines (Royaume-Uni, Suède, Suisse et Japon) ainsi que celle de la zone euro réfléchissent à une émission de leur propre monnaie souveraine. D’autres pays ont également démarré des projets pilotes de cryptomonnaie dont l’Uruguay et le Mexique. Le Venezuela, quant à lui, s’est déjà doté d’une cryptomonnaie souveraine, le Petro, en 2018.

Côté business, la cryptomonnaie Libra initiée par Facebook à travers une fondation sans but lucratif dirigée par un consortium de 28 partenaires adhérents au départ, de différents pays, pose un nouveau paradigme. Celui de la souveraineté monétaire.

Plusieurs cryptomonnaies développées par des entrepreneurs français ont vu le jour mais restent peu significatives dans le marché des cryptomonnaies.

Pour être sûre de faire partie des leaders mondiaux, la Banque populaire de Chine a interdit l’usage du Bitcoin et de la Libra et a lancé, 2 mois après la Suède, le test de sa première cryptomonnaie souveraine (pensée depuis 2014) dans 4 villes pilotes : Suzhou, Chengdu, Xiong’an et Shenzhen. La Chine prévoit un déploiement général en 2022 via ses 2 systèmes de paiement souverains par mobile, Wechat Pay (Tencent) et Alipay (Ali baba) déjà largement utilisés dans l’Empire du Milieu. Et qui ont essaimé dans la capitale française très cotée par les touristes chinois. En effet, Les Galeries Lafayette acceptent Alipay depuis 2017 ainsi qu’aujourd’hui, Printemps, BHV, Sephora et Marionnaud. La filiale de paiement de la firme chinoise Ali baba revendique clairement viser la France comme premier marché européen. Quant à la branche de Tencent, Wechat Pay et selon la Banque de France, c’est plus de 4 milliards d’euros dépensés chaque année par les touristes chinois à Paris. Pratique ! Un téléphone chinois avec un système de paiement chinois lié au compte bancaire chinois qui permet d’utiliser le Yuan, la monnaie chinoise, pour payer…à Paris plutôt que d’acheter des devises en euros ! La souveraineté existe mais tout dépend pour qui !

Afin de faire face, entre autres à la Libra, le gouverneur de la Banque de France a fait savoir fin 2019 qu’il serait judicieux de créer une « monnaie digitale de Banque Centrale », un e-euro, dès 2020, dans un premier temps pour les transactions de gros pour être ensuite décliné aux particuliers. Cette initiative avait d’ailleurs été saluée par Bruno Le Maire dans un entretien avec La Croix. Affaire à suivre.

Il faut croire que la course aux cryptomonnaies souveraines est aujourd’hui ce que la conquête spatiale était à la deuxième moitié du XXème siècle mais avec davantage de joueurs dans ce jeu géopolitique dont les règles sont éminemment complexes.

Enfin et conjointement, les néo-banques ont de nouveaux concurrents. En 2019 la marque à la pomme a lancé en 2019 l’Apple card, sa première carte bancaire. Toutefois celle-ci ne peut être utilisée que par les porteurs d’IPhone. Plus récemment, c’est la firme californienne de paiement en ligne, Paypal, qui a lancé en septembre 2020 une carte bancaire pour professionnels sans frais mensuel ni frais de charge. Si son service de carte bancaire ne propose pas tous les services d’une banque en ligne, le marché reste judicieux et stratégique. A fortiori car Paypal travaille sur un chantier de stockage et de partage…de cryptomonnaies.

En France il est déjà possible de payer par téléphone pour de petits paiements en euros mais deux conditions doivent être remplies : le téléphone doit être équipé du système NFC (paiement sans contact) et votre banque doit proposer un service de paiement par téléphone mobile.

Les constructeurs de téléphones ayant compris les intérêts qu’ils avaient à équiper leurs téléphones du système NFC, aujourd’hui la grande majorité des téléphones en est équipée et selon les accords avec les différents pays, plusieurs solutions existent pour payer par mobile en devise traditionnelle : Apple Pay, Android Pay, Google Pay, Samsung Pay entre autres. En France, il existe des solutions françaises nées de startups ou de fusions de différentes entreprises : PayLib, Lydia, Pumpkin, Orange cash, Lyf Pay (Crédit Mutuel, BNP Paribas, Auchan, Total, Mastercard et Oney puis Wa).

Techniquement on peut donc aujourd’hui payer avec son téléphone via une carte bancaire virtuelle ou un système de paiement par mobile, une application de paiement et avec une cryptomonnaie (elle aussi dématérialisée) créée par une entreprise ou un consortium. D’une certaine façon, exit les banques !

Changement de paradigme. Avant, seuls les pays pouvaient créer une monnaie et seules les banques pouvaient émettre des cartes bancaires. Aujourd’hui plus de 2000 cryptomonnaies existent et de nouvelles cryptomonnaies apparaissent régulièrement et disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues. D’autres sont plus pérennes selon leur valeur sur le marché. Ces cryptomonnaies ont été créées soit par des états soit par des entreprises voire des individus. Les cryptomonnaies viennent changer les règles du jeu.

Les services de vidéo à la demande

Là encore, les USA sont en première position notamment avec leur plateforme Netflix qui est dominante sur le marché mondial. Viennent derrière, toujours américaines, Amazon Prime Video, Apple TV+ et le petit nouveau depuis 2020 Disney+. En France, des plateformes existent notamment MyCanal (Canal +) qui, comme on peut s’en douter, est le SVOD qui propose le plus grand choix de productions françaises. On trouve également OCS, le service SVOD d’Orange qui a une exclusivité avec la chaîne à péage américaine HBO. Dans le domaine de SVOD on peut donc noter qu’il n’y a aucune plateforme française ayant un poids international contrairement aux services américains.

Les réseaux sociaux

Si les premiers réseaux sociaux (américains bien sûr) sont apparus à la fin des années 90 notamment avec Six Degrees, LiveJournal puis au début des années 2000 avec Friendster, Hi5 et MySpace force est de constater qu’ils ont tous…disparu ! LinkedIn (2002) est le plus ancien de tous, encore présent aujourd’hui et qui est d’ailleurs le plus grand réseau social professionnel dans le monde. À noter le rachat de LinkedIn par Microsoft en 2016 pour 26,2 milliards de dollars. Facebook n’est arrivé, lui, que 2 ans plus tard en 2004 suivi de Twitter en 2006. Instagram, le premier réseau social mobile est arrivé en 2010 la même année que Pinterest suivi de Snapchat en 2011. Le petit dernier, en 2015 TikTok qui est l’exception qui confirme la règle puisque ce réseau social exclusivement axé vidéo est….chinois. Aujourd’hui plus de 3,5 milliards de personnes dans le monde sont connectées à travers l’ensemble de ces plateformes.

Les 7 réseaux sociaux les plus importants (en nombre d’utilisateurs) dont 6 Américains et un Chinois en quelques chiffres :

Facebook : 2,5 milliards d’utilisateurs dont 37 millions rien qu’en France

Instagram : + 1 milliard d’utilisateurs dont 18 millions en France

TikTok : 625 millions d’utilisateurs dont 18 millions en France

Twitter : 339 millions d’utilisateurs dont 16 millions en France

Pinterest : 322 millions d’utilisateurs dont 13 millions en France

LinkedIn : 310 millions d’utilisateurs dont 20 millions en France

Snapchat : 210 millions d’utilisateurs dont 13 millions en France

Bilan 2020

Que dire ? La France a perdu la bataille des constructeurs d’ordinateurs, de l’Internet, des systèmes d’exploitation, du Cloud (mais avec Gaia-X, qui sait ?), des systèmes de paiement, de la vidéo à la demande, des moteurs de recherche, des réseaux sociaux et enfin celle de la maîtrise des données personnelles malgré le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) et le futur règlement ePrivacy (ePR) en préparation par la Commission Européenne. Et la France semble avoir d’ores et déjà perdu la bataille déjà entamée de la monnaie dématérialisée. Que nous reste-t-il alors ?

La guerre a changé de forme. Les rapports de pouvoir aussi. Et le pétrole de demain, voire d’aujourd’hui, c’est la donnée. Qui maîtrise la donnée domine le monde.

À défaut d’une souveraineté française a priori impossible aujourd’hui car perdue il y a environ 20 ans, peut-on envisager une souveraineté européenne ? L’avenir nous le dira. Les plus optimistes s’accrocheront à cette idée et les plus pessimistes diront qu’il ne sert plus à rien de regarder en arrière.

Toujours plus haut, toujours plus vite, toujours plus fort. Si les USA et la Chine (cette dernière qui ambitionne d’être leader mondial de l’IA à l’horizon 2030) se livrent, encore une fois, une féroce bataille au niveau de l’Intelligence artificielle et sont sur le devant de la scène. La France occupe la 2ème place européenne.

Dans le secteur de l’intelligence artificielle, la France a visiblement une carte à jouer. Si l’Europe dépasse la Chine en termes de puissance numéraire, c’est à chaque pays du vieux continent de rester compétitif. Et la Chine est toujours un adversaire redoutable. Pour autant pourquoi travailler les uns contre les autres quand on peut travailler ensemble ?

La France doit absolument investir sur une formation et une pédagogie massives dès le plus jeune âge. Quand bien même nous sommes aujourd’hui bien placés dans ce secteur, encore faut-il qu’il y ait une croissance des talents et une vraie culture numérique citoyenne. Ce qui veut dire former les jeunes générations, dès l’école primaire, aux nouvelles technologies. L’objectif étant qu’ils ne soient pas de simples consommateurs du numérique sans comprendre le monde dans lequel ils vivent et vivront mais qu’ils soient de véritables acteurs du numérique éclairés et qu’ils puissent réellement comprendre le fonctionnement des différentes technologies, leurs tenants et leurs aboutissants. Sans ce type d’initiative, alors rien ne dit que la France ne perdra pas à nouveau un avantage comme cela est déjà arrivé par le passé.

Jean-Noël Lorriaux

Chef de projet digital, fondateur de Khelasys et formateur en compétences numériques

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